Nécrologie par « Qui Ose Gagne »

« Allo Ancre, ici Dragon », le bulletin de liaison de la brigade de parachutistes coloniaux (n° 66 Mai-Juin 1958) se fait l’écho de la nécrologie du capitaine Guilleminot.

Mort pour la France le 24 juin 1958 (Algérie) †

« Henri GUILLEMINOT, Capitaine Parachutiste du 2ème RPC est mort en opération, le 24 juin 1958, au centre d’un paysage escarpé et dur, dont il disait quelques jours auparavant : « ça a de la gueule ».

Il n’avait pas encore officiellement pris le commandement, mais depuis huit jours, il avait tenu à la conduire lui-même. Lorsque l’hélicoptère qui le transportait avec son PC s’est brutalement abattu dans le cirque des Ouzellaguen, il était une fois de plus à la tête de ses hommes. »

« À la tête de ses hommes, voilà plus de quinze ans que Guilleminot, qui n’a pas 32 ans, s’y trouve à peu près sans interruption.

À 17 ans il s’engage dans la Résistance et passe au maquis de Lorris dans la forêt d’Orléans.

Il prend part à plusieurs combats et sabotages. Son tempérament d’entraîneur d’hommes et de chef est inné : il est nommé Sous-Lieutenant à 18 ans.

Après le débarquement, il rejoint le 1er Régiment de Bourgogne à la 1ère Armée. Il est blessé à Nonne brick en janvier 45. Il a déjà été cité deux fois.

Après l’Armistice, il entre comme Saint-Cyrien à l’EMIA. Il est promu Sous-Lieutenant d’Active en juin 1945. Il n’a que 19 ans.

À peine sorti de l’École Militaire, il s’embarque pour l’Indochine, est affecté en pays Thaï, qui va devenir sa terre de prédilection.

Doué d’une constitution physique et morale incomparables, il effectue un premier séjour de deux ans et demi, de juillet 46 à janvier 49. Il est cité quatre fois et nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.

En juin 49, il est déjà de retour à Saïgon et remonte au pays Thaï, où il reste cette fois trois ans complets, jusqu’en juin 52. Il est blessé deux fois et cité à nouveau trois fois. Mais en décembre 1952, il débarque à nouveau en Indochine.

Il est promu Capitaine à 26 ans et se bat à Nasan en 53, à Dien-Bien-Phu en 54 où il est plusieurs fois blessé et encore trois fois cité.

Le 8 mai 1954, le lendemain de la chute de Dien-Bien-Phu, il s’évade, il marchera durant cinq jours avec une balle dans le pied. Épuisé, il commet, dit-il, une imprudence et se retrouve finalement repris.

Après sa libération, le 2 septembre 1954, il tient à terminer à la Division Nung, malgré blessures et fatigues accumulées, causes aux séjours complets qu’il s’est imposé.

Il ne quitte l’Indochine qu’en juin 1955. Cette Indochine où il a été neuf fois cité et blessé quatre fois. Il en revient à 28 ans, Officier de la Légion d’Honneur.

En 1956, il prend part à l’expédition d’Égypte.

Depuis 1957 en Algérie, affecté au 2ème R.P.C., il commande d’abord la Compagnie de Reconnaissance, puis prend le bureau Opérations du Régiment. Ce travail l’intéresse, il y réussit remarquablement, mais il veut, alors que son temps de Commandement est depuis longtemps dépassé, commander, une fois de plus, une autre Compagnie. –  » Avant qu’il ne soit trop tard – dit-il, le 1er janvier prochain (il aurait eu six ans de grade et à peine 32 ans), on me dira que je suis un vieux Capitaine. »

ooOoo

Ce que je viens d’évoquer ici et qui parait déjà étonnamment riche, n’est en réalité qu’un portrait extérieur, une énumération dense des faits ayant rempli de façon commune la vie déjà longue de cet homme jeune.

Le Capitaine Guilleminot était toujours beaucoup plus que cela.

D’une vitalité débordante, d’une intelligence pénétrante et diverse, adorant la discussion ayant toujours raison d’une façon ou d’une autre, gai, d’une gaîté audacieuse et ouverte à tous, au milieu des choses les plus sérieuses, il adorait faire accepter et au besoin provoquer les situations baroques, il désarmait l’amertume et forçait les sombres à sourire.

Il considérait la tristesse de nature comme une faute contre l’humanité et pour la combattre, il avançait des mots et des tons d’une insolence désopilante et sympathique.

Une fois son jugement fait, il tranchait le débat à coups de serpe et poussait ses arguments à coups de boutoirs.

C’était un homme par excellence et en cela, dégagé de tout complexe, faux sentiment, faux dilemme, faux semblant. C’est ainsi qu’après Dien-Bien-Phu, il écrit à son père :  » Pour la tête, je ne sais pas, mais pour le cœur et la santé, vous pouvez vous vanter de ne pas m’avoir raté. « 

Mais Henri Guilleminot était encore avec tant de naturel, tout autre chose.

C’était d’abord un combattant, mais il est à peine besoin d’en parler, tant sa vie le prouve.

C’était un homme, bon, généreux, honnête de cœuret d’esprit ; il aimait ses hommes, les enfants et la jeunesse. C’était un Officier sérieux, d’une grande conscience, un Officier travailleur, rapide et efficace, très organisateur : un Officier d’une grande intelligence humaine et d’une vaste curiosité intellectuelle, axées spécialement sur tout ce qui se rapporte à la vie, au caractère social, à la grandeur nationale, spirituelle et politique de son Pays.

Si la mort violente a enlevé sous nos yeux le corps de Guilleminot, elle n’a pas réussi à nous prendre son cœur ni son âme, puisqu’ils appartiennent à Dieu ; c’est-à-dire à l’éternité ; elle n’a pas réussi non plus à nous prendre sa voix, son rire, ses expressions, car telle est la marque que laissent, par une présence quasi-miraculeuse, ceux qui, par leur seule façon d’exister, ont, pour leurs contemporains, pesé plus lourd que les autres dans la balance du monde et des cœurs.

Si  » le corps est la forme de l’âme « , la santé physique de Guilleminot était le reflet éclatant de son âme généreuse, de son cœur et de son esprit. Son âme était comme son corps, débordante de vie et ses gestes sont toujours tellement présents à nous que son Régiment, ses camarades, ne savent pour ainsi dire, pas être tristes depuis sa mort ; on le voit entrer, on l’entend parler ; même les conversations à la radio qui ponctuent les combats, perlent de lui. Le lendemain de sa mort, en opération, on entendait ces mots bien connus :  » l’affaire est dans le sac « .

ooOoo

Ton ambition, rappelle-toi, était d’être promu Commandeur de la Légion d’Honneur comme Capitaine. Cette cravate va t’être remise par le Général Commandant les Troupes Aéroportées ; elle couronne les quatorze citations et les cinq blessures de guerre récoltées au cours de ta vie pleine et généreuse.

Capitaine Henri Guilleminot, nous te demandons comme dernière preuve de ta camaraderie de rester en esprit présent parmi nous, ne nous laisse pas seuls avec notre peine et nos tristesses. Ton souvenir est aussi vivant que ta vivant que ta vie nous était précieuse.

Les Parachutistes, les Sous-Officiers et Officiers du 2ème Régiment de Parachutistes Coloniaux, s’inclinent respectueusement devant la grande douleur de ceux auxquels tu étais le plus cher : tes parents et tous ceux de ta famille : tes camarades te saluent  » Capitaine Guilleminot  » et te disent Au revoir – À plus tard, au milieu de tes Parachutistes. »

Colonel LE MIRE.

© Document appartenant à l’association QUI OSE GAGNE. Site Internet : http://www.quiosegagne.asso.fr/

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