Par André Thiéblemont Dans Inflexions 2019/1 (N° 40), pages 103 à 113
- « Affolezz môssieur… Aboulezz au pas de gymnastique… Galipoteux melon… Disparaissezzz [1] ! Novembre 1840 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, près de Versailles [2]. Dans la cour Wagram, il règne un tohu-bohu indescriptible : des « jeunes recrues » courent à droite à gauche, harcelées par les voix gouailleuses d’élèves officiers de deuxième année. À l’écart, un « melon » est à quatre pattes, mesurant la longueur d’un bâtiment avec une allumette comme un ancien lui a ordonné. Le débraillé élégant, une casquette écrasée sur la tête, celui-ci est l’une des « fines galettes » de sa promotion, des personnages haut en couleur, pleins d’aplomb, qui, figurant en queue de classement, jouissent d’un fort prestige parmi leurs pairs et sont redoutés des plus jeunes.
De nos jours, un soir de 2 décembre à Gao ou à Tombouctou. Des officiers de l’opération Serval sont réunis pour célébrer Austerlitz. Il se fait tard. Ils vont se séparer. Au garde-à-vous, recueillis, ils entonnent un chant solennel, La Galette, l’hymne de Saint-Cyr : « Noble galette, que ton nom soit immortel en notre histoire » De nos jours encore, un 14 juillet sur les Champs-Élysées. Un bataillon de Saint-Cyr défile au rythme de Saint-Cyr, une marche altière sur l’air de laquelle La Galette a été composée au milieu du xixe siècle.
De la « galette », cet attribut vestimentaire que portaient autrefois des saint-cyriens moyennement ou très mal classés, des « officiers galette » ou des « fines galettes » rebelles aux normes de l’institution saint-cyrienne, à La Galette d’aujourd’hui, à l’hymne de Saint-Cyr, et à ses déclinaisons musicales, à ces objets du patrimoine militaire national : quelles circonstances et quels détours de la pensée symbolique ont produit cette métamorphose d’un objet qui, jadis, symbolisait chez les saint-cyriens une résistance à l’autorité ?
[1] Dans l’argot saint-cyrien du milieu du xixe siècle, l’appellation « melon » désignait un élève officier de première année, une « jeune recrue ». Encore de nos jours, notamment lors des séances de bahutage, la coutume langagière des saint-cyriens est de prononcer le z final de la deuxième personne du pluriel d’un verbe courant : « affolez » se dira « affolèze » ou « affolezz ».
[2] Ce texte, assorti de nouvelles observations, est tiré de A. Thiéblemont, « Création et mutation d’un symbole : la galette saint-cyrienne », Revue historique des armées, 1980/1, pp. 79-99.